Le don humanitaire

Le don humanitaire….. entre générosité et ambiguïté

Il n’est pas simple de savoir quoi donner et à qui ?

cet article pose des questions et mène à la réflexion.

Toutes les associations humanitaires – à un moment ou à un autre – sont amenées à envoyer des conteneurs d’objets vers le village, la famille ou l’organisme qu’ils aident.
Ces dons sont toujours faits avec générosité mais ils ne correspondent pas toujours aux besoins réels sur place, voire contribuent à alimenter divers trafics locaux et détruire la petite économie locale. Il faut arrêter de croire que quoique l’on puisse envoyer, « c’est mieux que rien ».

L’objet de cet article n’est pas de dissuader d’envoyer quoique soit mais de provoquer une réflexion sur la destination du don et de sa réelle utilité.

Les destinataires n’osent pas toujours refuser, de peur que l’aide ne s’arrête. Il convient de se poser plusieurs questions. Ces questions seront répétées plusieurs fois au cours de l’article afin de bien insister sur certains aspects.
Il est très important de se renseigner sur les besoins réels, se renseigner sur les coutumes locales, afin de mieux cibler les envois.

Et si l’on a des doutes, il vaut mieux se rapprocher de personnes ou associations qui connaissent bien le terrain et pourront mieux conseiller.

  • Les objets envoyés correspondent-ils à des besoins réels, vérifiés sur place, demandés expressément par un organisme local ? Ou bien sont-ils une décision de la part de l’association française qui récolte ainsi ce qu’elle pense sincèrement être utile à ses amis burkinabè ?
  • La valeur des objets dépasse-t-elle très largement l’énergie et les sommes engagées pour l’envoi du conteneur ? Souvent on paye très cher un envoi qu’il vaudrait mieux acheter sur place afin de faire fonctionner les entreprises, artisans et commerces locaux, ou bien de faire en sorte de révéler des savoir-faire qui existent sur place.
  • Le choix des objets envoyés correspond-il à un manque crucial chez les destinataires ? A-t-on vérifié si ces objets ne peuvent pas être achetés sur place et ainsi contribuer à l’économie locale?
  • Connaissez-vous réellement la personne responsable qui va réceptionner le conteneur ? Etes-vous sûrs de la bonne répartition des dons , de la nature et l’urgence des besoins des destinataires ?
  • Avez-vous vérifié l’état des objets envoyés ? Ils doivent être comme neufs ! L’Afrique n’est pas la poubelle de l’Occident et il faut se méfier du  » çà peut toujours servir… « , même si c’est la teneur du discours du destinataire des colis.

LES LIVRES

Les bibliothèques du Burkina Faso manquent cruellement de livres, néanmoins il faut trier les envois.
Les livres sont très lourds. De plus il est très délicat de trier et jeter une fois parvenu au Burkina Faso.

Il existe une charte du don de livres. Voir ici pour Ritimo.
On peut aussi consulter le site du COBIAC, collectif des bibliothécaires spécialisé dans le don de livres.
Les bibliothécaires burkinabè sont demandeurs de :

  • Dictionnaires (français, anglais)
  • classiques d’auteurs français pour les lycées
  • Pour les enfants : bandes dessinées, livres, romans
  • Romans classiques ou modernes
  • Atlas
  • Encyclopédies postérieures à l’an 2000
  • Collections à thèmes (animaux, flore, sciences, inventions modernes)
  • Grammaires (français, anglais)
  • Magazines ou revues( Geo, Jeune Afrique ou autres revues africaines), quotidiens récents
  • Les enseignants du primaires sont très friands de livres pédagogiques voire de livres de classe afin de chercher des idées.

A Proscrire

  •  Les livres trop vieux, trop anciens, en mauvais état
  • Les encyclopédies antérieures à l’an 2000 (dans lesquelles ne figurent nulle référence à internet, la téléphonie mobile, les écrans plats etc….)
  • Les livres (d’enfants ou d’adultes) trop  » franco-français « , totalement incompréhensibles pour un Burkinabè (fait historique français, scandale français, fait divers français, phénomène social, régionalisme….)
  • Les livres de droit français, agriculture française, faits de société, etc….
  • Les livres scolaires (d’histoire de France, géographie française…) car les programmes ne sont absolument pas les mêmes. Ces livres encombrent les bibliothèques avant d’être jetés

Problème

Ces bibliothèques manquent cruellement de littérature africaine.
Chaque association ou organisme doit avoir à coeur de penser à acheter au Burkina Faso des livres, des romans, contes ou nouvelles africains, sans oublier les auteurs burkinabè (Monique Ilboudo, Dramane Konaté, Parfait Ilboudo, Maxime Ily…..)

Le savez-vous ?

La poste française a un accord avec les postes des pays africains francophones. Cet accord permet d’envoyer des colis de livres par paquets de 3 kg pour un tarif très intéressant.
Ces colis doivent uniquement contenir des livres ou des magazines, et comporter la mention «  livres et brochures « . Il n’est pas nécessaire de s’inscrire ou de demander un agrément. Ces envois concernent tous les pays francophones africains. Certes 3 kg c’est très peu, mais cela permet d’envoyer des ouvrages en urgence.

Question à se poser

Les destinataires – même s’ils ont réclamé des livres et ont le projet de la création d’une bibliothèque – sont-ils à même de trier, ranger et réparer ces livres ? Quelqu’un est-il capable d’animer une petite bibliothèque ? Il serait dommage d’envoyer des cartons de livres, correspondant à un besoin réel, pour les voir durant plusieurs années dormir dans les cartons faute de local ou de personne compétente.

Il faut noter également l’état du livre ; peu de bibliothécaires savent réparer les livres au Burkina Faso, le matériel pour couvrir les livres manque cruellement et les livres sont  souvent malmenés. Il peut être très utile d’envoyer des livres déjà couverts.

Il existe un organisme burkinabè qui forme les bibliothécaires. le CENALAC ; les partenaires et coordinateurs des bibliothèques nationales du Burkina Faso sont très compétents.
Ils pourront répondre à vos questions et  vous renseigner sur les réalités des bibliothèques, leur localisation et leurs besoins : utilisons les compétences locales !!
Réseau Centre
Réseau Ouest

LES VÊTEMENTS

Les dons de vêtements constituent une grosse partie des envois par conteneurs. Ils proviennent en général de particuliers qui trient leurs placards deux fois par an et donnent tout ce qui ne leur est plus utile.

TRI

Le tri doit se faire avec discernement. En effet les vêtements modernes sont de qualité très moyenne et beaucoup d’habits sont totalement inadaptés à l’Afrique (notamment les jupes pour femmes, les pulls épais ou sous-pulls à col roulé, les collants, les manteaux, bottes épaisses…)

QUESTIONS

  • Avez-vous vérifié si la personne chargée de réceptionner les vêtements est sérieuse ? Va-t-elle redistribuer les habits de manière équitable, équilibrée et gratuite ?
  • La valeur des vêtements est-elle largement supérieure à la somme engagée pour l’envoi ? Ne serait-il pas mieux d’envoyer cette somme et la consacrer à faire travailler les tailleurs locaux ?
  • Tous les vêtements sont-ils neufs ou bien en parfait état ? Sans tâches, ni usures, comportant tous les boutons, les fermetures éclairs, les ourlets…? Ceci est moins une question de rentabilité des colis qu’une question de dignité pour la personne qui va recevoir ces vêtements.
  • Tous les vêtements sont-ils faciles à entretenir ? Une mère de famille peut-elle laver ces vêtements au marigot ou barrage sans craindre la moindre décoloration ou le moindre rétrécissement ? Les vêtements peuvent-ils se dispenser de repassage ?
INFORMATIQUE

Il y a une nette volonté des pays africains de s’informatiser. Les administrations sont dotées d’ordinateurs. Une semaine des « TIC » (Technologie, Informatique et Communication) est organisée chaque année à Ouagadougou avec un concours de sites internet.
Plusieurs écoles supérieures forment des informaticiens et des infographistes de très bons niveaux.

Cet engouement – malgré les coupures de courant ou de réseaux internet hélas fréquents – pousse chaque adolescent à réclamer à son ami français un ordinateur portable sans toujours réaliser qu’en France, l’achat reste cher.

Beaucoup de matériel informatique est envoyé depuis la France au Burkina Faso. Ce matériel est quelque fois – souvent – obsolète ou en mauvais état, mal vérifié ou inadapté.

QUESTIONS

  • Le matériel informatique est-il suffisamment récent pour être facile à réparer à au Burkina Faso en cas de panne ?
  • Ce matériel informatique est-il destiné à un endroit doté de l’électricité ou d’un groupe électrogène ?
  • Le destinataire sera-t-il capable de protéger et entretenir ces ordinateurs afin de les préserver de la poussière, du vol, de la chaleur ?
  • Avez-vous pensé à vider l’ordinateur de tous vos fichiers, dossiers, photos, logiciels et le réinstaller complètement et proprement ?
  • Vos ordinateurs sont-ils suffisamment bien emballés pour résister pendant le voyage aux différents chocs et à une température qui avoisine parfois 70° dans le conteneur ?

MATERIEL MEDICAL

Le Burkina Faso a un système de soin classé en 4 catégories :

  • CSPS. Centre de Santé et de Promotion Sociale. Il s’agit de ce qu’on appelle communément les dispensaires de brousse. Présents dans les gros villages et toutes les villes même petites. Ils sont dépourvus de médecins, dirigés par un infirmier diplômé appelé « major », aidés d’infirmiers correspondants à nos aide-soignants, ainsi que d’une aide-sage femme. Ce sont eux qui ont le plus de contacts avec la population en brousse et dans les quartiers populaires en ville.
  • CM. Le Centre Médical. Présent dans les villes de petites et moyennes importances, ils sont dirigés par un médecin aidé d’infirmiers. Les CSPS envoient leurs parents dans ces centres médicaux dès lors qu’un problème devient grave ou dépasse leurs compétences.
  • CMA. Centre Médical avec Antenne Chirurgicale. Présents dans les grandes villes, outre des médecins, ces centres ont un ou plusieurs chirurgiens.
  • Centres Hospitaliers ; présents dans les grandes villes : Ouagadougou, Bobo Dioulasso, Ouahigouya, Fada n’Gourma… Ils ont peu nombreux. Certains comportent une école de Santé, des Centres de Recherches, un Centre de Transfusion Sanguine etc…

A cela il convient d’ajouter un nombre important de cliniques privées qui fleurissent dans les villes mais dont l’accès aux soins est inabordable pour le Burkinabè moyen.

Le pays compte de bons médecins mais en trop petite quantité. Les hôpitaux de moyenne importance manquent cruellement de matériel médical : du lit médicalisé à la table d’opération en passant par le siège de dentiste.
Le matériel médical, en excellent état – est donc très utile mais…

QUESTIONS

  • Avez-vous fait ensemble le point avec le médecin, infirmier ou chirurgien de l’hôpital concerné, sur les besoins précis en matériel ? Sur les possibilités de réparation et d’entretien au Burkina Faso ?
  • Avez-vous vérifié si le dispensaire ou Centre Médical possédait l’électricité avant de leur envoyer du matériel qui nécessite le courant électrique ? Vérifier également si le destinataire est bien représentant d’un établissement public et non d’un cabinet privé.

LE PROBLEME DES MEDICAMENTS

Si le matériel paramédical (sondes, seringues, consommables, tensiomètre, stéthoscope, pansements….)et le matériel médical ne sont l’objet d’aucune restriction, il n’en est pas de même pour les médicaments.

La loi française est devenue stricte sur le devenir des médicaments non utilisés. Pour envoyer au Burkina Faso des conteneurs de médicaments, cet envoi doit faire l’objet d’une déclaration en douane avec des factures provenant la provenance et leur achat. Par ailleurs, l’envoi de ces médicaments en grand nombre doit faire l’objet d’une traçabilité locale. En effet le Burkina Faso possède sa propre Centrale d’achats de médicaments et de consommables médicaux : la CAMEG.
L’envoi massif de médicaments de l’étranger risquerait de mettre en danger cette économie fragile des médicaments génériques. Le gouvernement burkinabè restreint volontairement la réception de médicaments étrangers envoyés en grande quantité.

Enfin l’envoi de médicaments doit faire l’objet d’une réflexion sérieuse avec les destinataires : certains médicaments ne sont pas utilisés au Burkina Faso ; leur envoi contribuerait à grossir les trafics en tout genre tels qu’on le remarque dans les marchés paysans. Le tri doit être également être strict, quant à l’état de la boîte et surtout de la date de péremption. Il y a encore des gens persuadés qu’on peut envoyer des médicaments périmés en Afrique, ce qui n’est pas du tout le cas !

EN VRAC

Les ONG ou tout autre organismes envoient de nombreux objets. Tous doivent faire l’objet d’une réflexion sur l’utilité de l’envoi.

LES JOUETS

Il est toujours sympathique de partager des jouets avec des enfants qui en manquent. Mais ne crée-t-on pas un besoin en envoyant des poupées et surtout des peluches à des enfants qui n’ont jamais possédé de jouets manufacturés ?

La peluche est en Occident le symbole du jouet, du doudou pour le très jeune enfant. Au Burkina Faso, les peluches n’existent que dans les grandes villes et elles proviennent la plupart du temps de Chine. Toutes les peluches envoyées – outre créer un besoin – vont être source de poussière et de microbes.Ces jouets vont véhiculer des maladies et aucune mère ne voudra laver la peluche ayant assez à faire avec les vêtements.

LES OUTILS

Les outils concernant la menuiserie, l’électricité,la plomberie, la mécanique et d’autres, sont souvent rares et chers au Burkina Faso. Hélas les outils les plus abordables sont la plupart du temps de très mauvaise qualité. Amener des outils pour aider une école à former des jeunes, ou bien pour aider un jeune à s’établir peut s’avérer très utile. Mais il convient toutefois de se poser la question de l’utilité réelle de ces outils.

Les outils de maraîchage, d’agriculture ou tous travaux relatifs à la terre sont très nombreux et très variés en France mais le paysan burkinabè utilise souvent uniquement la daba et la charrue traditionnelle.

  • Les outils que vous désirez envoyer nécessitent-ils l’électricité ? Dans l’affirmative, les destinataires bénéficient-ils de l’électricité ? et avec une puissance suffisante ?
  • Ces outils sont-ils adaptés au destinataire, sait-il s’en servir ? en a-t-il vraiment besoin ? quelqu’un pourra-t-il lui enseigner l’utilisation de l’outil ?

LES VOITURES

Certains particuliers ou associations envoient des véhicules par le biais de transitaires. Que ce soit des véhicules pour des organismes locaux (paroisses, associations, écoles) ou bien des véhicules particuliers de type ambulance.
L’envoi de véhicule coûte cher, très cher, même s’il est envoyé dans un cadre humanitaire. Les taxes douanières s’élèvent à plusieurs millions de francs cfa pour un véhicule de moins de 10 ans. Il doit avoir passé le contrôle technique avant d’être envoyé, et avoir tous les papiers en règle, même pour un don.

Les questions à se poser sont nombreuses :

  • Certaines marques n’existent pas au Burkina Faso, il faut donc se poser sérieusement la question de la réparation de la voiture en cas de panne. Les engins à moteur sont mis à rude épreuve sur les pistes du Burkina. Si les pièces de rechange sont trop compliquées à trouver, le véhicule sera transformé…. en poulailler ! Ou alors vous risquez d’être continuellement sollicités pour trouver des pièces de rechange.
  • Le véhicule est-il adapté à la piste ? Les pistes abîment rapidement les voitures et certaines 4×4 occidentales ne sont – contrairement à ce qu’on pourrait croire – pas adaptées aux pistes africaines.
  • Le véhicule est-il en grande partie mécanique ou bien son moteur est-il truffé d’électronique ? Si un bon mécanicien burkinabè peut se débrouiller pour toutes les réparations mécaniques, il n’est par contre absolument pas outillé pour l’électronique sauf Diafac, une entreprise dotée d’ordinateurs pour détecter les pannes mais leurs prestations restent hors de portée du Burkinabè moyen.
  • Le destinataire du véhicule est-il à même d’entretenir le véhicule, le ménager, le faire réparer, le conduire ? Les cas d’ambulances transformées en cage à poules ou cabanes pour les enfants sont malheureusement classiques. C’est décourageant pour les associations françaises qui ne comprennent pas comment on a pu en arriver là et ce n’est d’aucune utilité pour le Burkina. Le Burkinabè ne réalise pas toujours les sommes d’argent et d’heures de travail qu’il a fallu pour pouvoir envoyer un véhicule au Burkina. Bien des associations françaises sont très amères après de semblables expériences.

EN GUISE DE CONCLUSION

Difficile de conclure un article tant il peut faire l’objet de vifs débats. Il serait utile que chaque association fasse le point de temps en temps sur la valeur marchande des objets envoyés, et leur utilité un an après l’envoi au Burkina. Peut être peut-on calculer ce qui aurait pu être acheté sur place avec une telle somme d’argent engagée.

Certains objets ne peuvent absolument pas se trouver sur place (matériel médical, livres..) et nécessitent effectivement des envois raisonnés. Pour d’autres objets, l’utilité de l’envoi reste à discuter au sein de l’association française et demande surtout une solide connaissance du pays bénéficiaire et une bonne confiance envers les destinataires.

Plusieurs ONG se sont penchées sur ce problème ; parmi elle Ritimo (Réseau des Centres de Documentation et d’Information pour le Développement et la Solidarité Internationale)

ACTUALITES

(Copyright photos : A. Chalamon)